Médiation entre professionnel et consommateur, un tournant dans les relations avec la clientèle

Article rédigé par Jessica Desgrugilliers, une étudiante du Master DFA promotion 2015-2016

 

L’ordonnance du 20 août 2015 et son décret d’application du 31 octobre dernier transposent en droit français la directive 2013/11/UE, obligeant les états membres à garantir le recours à un médiateur pour les litiges de la consommation. Les professionnels devront s’y conformer avant le 1er janvier 2016.

A l’origine, un consommateur à protéger :

L’idée part d’un constat. Les consommateurs achetant pour des sommes peu importantes refusent parfois de porter le litige devant les tribunaux : la voie est jugée trop coûteuse, longue et même stressante. On comprend par exemple que le consommateur du e-commerce, avec un panier moyen de moins de 75 €1, ne poursuive pas le professionnel après une réclamation sans suite.

L’idée motrice a donc été d’inciter le consommateur à agir, pour mieux le protéger. On se situe ici dans la même veine que l’action de groupe, possible depuis 2014. Il existait également en France des médiateurs d’entreprise (SNCF, EDF GDF, la Poste) et des médiateurs sectoriels (eau, assurances). Le rapport de Monsieur Caresche, député, observait cependant que «  (…) de nombreux secteurs ne sont pas encore couverts par un dispositif de médiation. Par ailleurs, dans les secteurs couverts, les consommateurs ne sont pas toujours correctement informés de leur existence« 2.

L’ordonnance du 20 août 2015 veut remédier à ce problème en généralisant la médiation à l’ensemble des litiges opposant les consommateurs aux professionnels. Ces derniers auront dorénavant l’obligation de la proposer.

Crédit image: net-litiges.fr

 

Une nouvelle procédure généralisée :

Le nouveau titre V du Livre 1er, créé au sein du Code de la consommation, développe la procédure applicable au 1er janvier 2016 tout en posant les principes généraux devant gouverner la pratique.

Ainsi, le recours à la médiation ne peut intervenir que si certains pré requis sont remplis. Avant de pouvoir l’utiliser, le consommateur devra avoir adressé au professionnel une réclamation écrite (conforme aux CGV ou au contrat conclu), depuis moins de 12 mois et concernant spécifiquement ce différend. S’il reste insatisfait il saisira le médiateur, à moins que le différend ne soit déjà examiné par un tribunal ou un autre médiateur.

Cette saisine se fait par lettre simple ou courrier électronique, accompagnée des pièces venant à l’appui de la demande. Le médiateur notifiera ensuite sa saisine aux parties. Elles pourront être convoquées (ensemble ou séparément). Si aucun accord amiable n’est possible, il propose une solution dans un délai de 90 jours à compter de la saisine (article R.152-4 du Code de la consommation). Cette solution n’a aucune force contraignante, il est donc toujours possible de saisir un tribunal par la suite. En pratique cependant, on note que les solutions des médiateurs sont majoritairement suivies3 : la procédure laisse une large place à la discussion et les solutions sont mieux acceptées car volontairement appliquées.

A partir du 1er janvier 2016, toujours selon le Code de la consommation, trois catégories de médiateurs pourront être saisis par le consommateur :

                – le médiateur interne, rémunéré par l’entreprise. Il est nommé par un organe collégial composé de représentants d’associations de consommateurs et du professionnel. Cette mesure et le revenu minimum dont il dispose doivent assurer son indépendance ;

                – le médiateur sectoriel, nommé par les pouvoirs publics pour un secteur en particulier. Il dispose d’une compétence de principe (article L.152-1 du Code de la consommation) ;

                – le médiateur conventionnel, qui peut être désigné par le professionnel comme médiateur référent. Il doit passer une convention avec le médiateur sectoriel pour pouvoir exercer.

 

Comment convaincre le consommateur ? :

Pour que le consommateur soit réellement protégé, les textes français de 2015 se sont assurés que cette voie soit effective et attractive pour le consommateur.

Pour qu’elle soit effective, il fallait que les consommateurs soient informés. De façon générale, le professionnel doit donc communiquer au consommateur la possibilité d’opter pour la médiation et l’assister dans sa démarche. Cette information passe par une présentation visible et lisible des coordonnées du médiateur et de son site internet par le professionnel (sur ses CGV ou CGS, son site internet, ses bons de commande ou tout autre support adapté), en vertu de l’article R.156-1 du Code de la consommation. Le professionnel qui n’informe pas le consommateur de cette possibilité est passible d’une amende maximale de 3.000 € pour les personnes physiques, et de 15.000 € pour les personnes morales (L.156-3 du Code de la consommation). Pour une meilleure visibilité, le site internet de la Commission de la Médiation de la Consommation répertorie l’ensemble des médiateurs sectoriels (www.mediation-conso.fr).

Pour qu’elle soit attractive, la voie de recours devait également être peu coûteuse et non contraignante. En conséquence, l’ordonnance du 20 août 2015 a fait le pari d’organiser une procédure gratuite pour le consommateur : la saisine du médiateur peut se faire par courrier électronique. Il devra cependant ouvrir les cordons de sa bourse s’il souhaite solliciter un avocat ou un expert. Cette formalité, comparée à celles des voies judiciaires, permet au consommateur d’envisager le recours au médiateur comme une voie simple et intuitive. Le consommateur bénéficie également d’une certaine liberté d’action : il a la possibilité de se retirer du processus de médiation à n’importe quel moment (article R.152-2 du Code de la consommation). Enfin, puisque la solution du médiateur n’a pas de force contraignante, le consommateur insatisfait a toujours la possibilité de porter l’affaire devant les tribunaux.

 

Ainsi, l’ordonnance du 20 août 2015 et son décret d’application transposent la directive européenne 2013/11/UE semble-t-il avec succès, en prévoyant une médiation avec des moyens à la hauteur de ses ambitions.

 

Une réforme utile à tous :

S’il s’agit aujourd’hui d’une contrainte pour les professionnels, cette réforme soutient sur le long terme les intérêts de toutes les parties.

En effet, un professionnel proposant efficacement la médiation veillera à la satisfaction de ses clients et pourra séduire de nouvelles personnes. Il aura également la possibilité de modifier son comportement en fonction des éléments rapportés par le médiateur : les difficultés souvent rencontrées et les propositions émises. De plus, la médiation reste une voie intéressante pour lui puisqu’elle est confidentielle et préserve son image.

Enfin, plus spécialement pour les professionnels du e-commerce, on peut penser que cette mesure donnera confiance aux particuliers hésitant encore à commander en ligne, inquiets de la qualité du service après-vente. Cette nouvelle confiance devrait notamment concerner les professionnels établis dans d’autres états membres de l’UE, également concernés par la réforme. La médiation, vue comme un processus efficace protégeant le consommateur, pourrait ainsi engendrer une augmentation de clientèle.

De manière plus générale, le rapport Caresche espère également désengorger les tribunaux en évacuant certains litiges par la voie de la médiation, et favoriser l’activité économique en stimulant le consommateur.

Comme pour toute réforme, tout cela reste cependant à voir en pratique. Plusieurs doutes ont déjà été émis concernant l’impartialité des médiateurs d’entreprise, notamment ceux des banques4, malgré les garde-fous instaurés par la réforme (absence de lien hiérarchique, fixation d’un budget minimum, …).

 

Jessica Desgrugilliers, étudiante du Master DFA promotion 2015-2016

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1 www.journaldunet.com/ebusiness/commerce/1163604-croissance-e-commerce-troisieme-trimestre-2015/1163643-74-67eur-de-panier-moyen

2  www.assemblee-nationale.fr/14/rapports/R2192.asp

3  Pour la médiation au sein de la FEVAD, 80% des solutions du médiateur sont suivies en 2013 (www.fevad.com/uploads/files/Rapport_du_Médiateur_du_e-commerce_2013.pdf), 78% en 2014 pour le médiateur national de l’énergie (www.energie-mediateur.fr/fileadmin/user_upload/Publications/RA_MNE_2014.pdf)

4 www.sosconso.blog.lemonde.fr/2015/08/21/mediation-une-ordonnance-decevante-pour-les-consommateurs/